Matthieu Ricard

Et je suis parti en bon terme avec tout le monde.

J'ai fait publier tous les papiers de mes recherches.

J'ai dit au revoir à tout le monde.

J'allais quitter le labo pour aller aux États-Unis.

Revenir peut-être quelques années plus tard, on ne sait pas.

Odile Jacob m'a dit que son père n'avait pas compris, il a été un peu déçu, parce que même si c'était quelqu'un de prestigieux, il a pris le Nobel, mais c'était un tout petit labo en fait, il avait seulement deux doctorants, moi et un autre, donc il perdait 50% de sa troupe, donc il a été un peu déçu.

Parait-il qu'il avait un certain espoir sur moi, probablement.

Pas très sûr que ça aurait marché, mais bon, toujours est-il que... Voilà, donc je suis parti.

Alors par contre, mon père, un ami, Olivier Todd, qui était un journaliste aussi très ami de mon père, alors que mon père était sur son lit de mort à l'hôpital, on était tous les deux avec Olivier Todd, et il m'a dit...

À ce moment-là, ton père est revenu chez moi, il a pleuré.

Donc en fait, il ne montrait pas ses émotions, mais ça lui a fait un choc.

Alors quelques années plus tard, alors que j'étais à Darjeeling, où je n'ai pas bougé pendant sept ans, je n'ai pas quitté Darjeeling pendant sept ans, j'étais dans un petit ermitage, je recevais des enseignements,

Il devait aller au Japon et il est passé me voir pour voir si je fumais la moquette.

Je n'étais pas complètement paumé.

Je n'ai jamais fumé ni la moquette ni quoi que ce soit, même pas une cigarette dans ma vie.

Donc, de ce côté-là, j'étais clair.

Donc, il a vu que tout se passait bien, que j'étais heureux.

Et comme il a dit, on a fait notre dialogue, le moine et le philosophe, il y a tant de parents qui se désespèrent.

De voir leurs enfants partir à droite, à gauche, dans des chemins de traverse, parfois des choses tragiques.

De voir qu'un enfant, finalement, est tellement heureux de faire ce qu'il a vraiment envie de faire, suffisamment tôt dans la vie, même si ce n'est pas ce qu'il avait espéré.